"BEVERLY" - Nick DRNASO

Loin des codes graphiques chatoyants en vogue, des tracés enlevés, des couleurs diffuses, marques de poésie et de douceur, Beverly  ne sera certainement pas la bande dessinée que vous trouverez empilée en colonnes immenses dans toutes les librairies, le chouette-cadeau-facile-à-offrir-au-cousin-qu'on-ne-voit-qu'une-fois-par-an, le livre un peu léger et rigolo, assez lisse pour ne pas faire de vague et assez innocent pour être oublié à peine refermé... Beverly  est aux antipodes de tout cela, et si vous cherchez un livre gentil et bien comme il faut qui ne vous chamboulera pas, passez votre chemin. Autrement, si vous cherchez simplement un ovni curieux et dérangeant, frôlant dangereusement le chef-d'œuvre, vous êtes au bon endroit.

 

Ce qu'esquisse Nick DRNASO avec Beverly , c'est simplement une grande fresque de la middle class  américaine. Une peinture morne et insensée du quotidien de quelques familles, représentatives d'une majorité muette, dont l'horizon bouché ne semble s'éclaircir qu'à la vue de mirages créés par une société de consommation prompte à générer névroses et comportements déviants.
Ainsi, plusieurs nouvelles se succèdent, présentant différents personnages, adolescents et adultes paumés, apathiques, portant le poids des apparences à sauvegarder, d'un american way of life stérile et normatif à l'excès. Dans un premier temps sans connexions apparentes, les destins se mêlent progressivement, et de loin en loin le drame apparaît, jusqu'à se faire imminent.

 

L'air de rien, Nick DRNASO nous bouscule sans cesse, par petits coups répétés derrière l'épaule, par petites agressions oppressantes. La fausse linéarité du scénario, les ellipses floues que l'on comprend à rebours, les personnages qui se ressemblent sans se ressembler, mais qui tout de même sont de sacrés polycopiés les uns des autres, et le dessin, millimétré, tendu ; car DRNASO n'oublie rien, dissèque à merveille et dérange à chaque instant.

Revenons au dessin, car esthétiquement c'est froid et statique, chaque plan est figé, les teintes sont douces et fades, appliquées en aplats impeccables, elles lissent l'ensemble, ensevelissent même, recouvrent tout élément sur lequel on pourrait achopper, et par là même produisent un sentiment de malaise qui colle à la peau et s'immisce profondément. Rigidité absolue.

 

Expérience de lecture intense et surprenante, Beverly  dit beaucoup, en n'épargnant rien, en appuyant simplement là où ça fait mal, sur la poche pleine de saloperies que l'on tente bon gré mal gré de dissimuler sous le tapis. Mais, si le malaise est omniprésent, on ne tombe jamais dans la violence anecdotique. Ici tout est latent, rien n'explose jamais réellement, surviennent seulement parfois les drames de la vie. Et apparaît à demi ce qui n'est jamais montré, jamais dit. Le monstre reste tapi dans l'ombre.

 

 

Nick DRNASO, Beverly , 2017, Presque Lune